Bien entendu.e.s
Un sondage récent mené par < Augmented Talent > a mis en lumière un décalage important entre les femmes et les hommes en matière de sentiment d’écoute de la part de leur employeur. Ce constat, ajouté à l’impact négatif de la crise sanitaire en matière d’égalité et à la persistance des comportements sexistes en entreprise, a amené à la création du blog « bien entendu.e.s » afin de donner la parole à des expert.e.s et ainsi mettre la data au service de la parité de façon innovante.
L’entretien inaugural a été mené avec Sandrine GHIOTTO, Responsable du Pôle études internes de la Direction Communication du Groupe EDF et coordinatrice du baromètre national sur le sexisme au travail
En quoi consiste le dispositif d’enquête #StOpE ?
Le collectif #StOpE s’est formé en 2018, pour dire « stop » au sexisme ordinaire en entreprise. Il regroupe aujourd’hui plus d’une centaine d’organisations signataires de la charte #StOpE, dans laquelle figure un certain nombre d’engagements, dont celui de « mesurer et mettre en place des indicateurs de suivi pour adapter la politique de lutte contre le sexisme dit ordinaire ».
Membre du collectif depuis sa création, le groupe EDF participe de ses travaux. Ayant précédemment mené des études internes sur le sexisme et l’égalité femmes-hommes à EDF, j’ai été associée au groupe de travail inter-entreprises, chargé d’élaborer le questionnaire du futur baromètre sur le sexisme en entreprise. Nous avons eu la chance d’être accompagnés dans notre démarche par Brigitte Grésy, experte des questions de sexisme au travail et nous nous sommes largement appuyés sur les enquêtes déjà réalisées sur le sujet par le Conseil Supérieur à l’Egalité Professionnelle (CSEP).
L’idée du baromètre est d’offrir aux entreprises signataires de #StOpE, un outil qui leur permette d’aller plus loin dans le déploiement de leurs politiques de lutte contre le sexisme. L’objectif est double : poser un diagnostic et sensibiliser sur ce qu’est le sexisme et ses manifestations.
Pour cela nous avons souhaité reconduire le format particulier des enquêtes CSEP, qui nous semblaient correspondre à la méthode la plus pertinente pour aborder la question du sexisme au travail. Le questionnement s’appuie sur des scénarios réalistes, permettant une mise en situation au travers de scènes de la vie quotidienne en entreprise : les réunions, les blagues, les petites phrases qui caractérisent un climat, mais aussi la carrière, l’accès aux responsabilités, la maternité, l’évolution salariale… Il porte donc sur tous les signes, comportements, attitudes, mots qui infériorisent et délégitiment, de façon insidieuse, les femmes dans le milieu professionnel et contribuent de ce fait au maintien des inégalités. L’objectif étant bien d’identifier les stéréotypes à l’œuvre dans les relations professionnelles entre les femmes et les hommes, car les stéréotypes de genre constituent le terreau des discriminations à l’égard des femmes.
Le dispositif d’enquête, confié à un institut d’études, repose sur un double exercice : une consultation auprès des entreprises participantes, plus de 65000 réponses ont ainsi été collectées début 2021, et en miroir un sondage national représentatif des salariés en entreprise, interrogés sur la base du même questionnaire.
Sexisme ordinaire: stéréotypes exclusion blagues
Quels sont les principaux enseignements cette année ?
Le ressenti du sexisme au travail est fort et le constat sans appel sur une série de dimensions :
> Pour 91% des femmes, les inégalités professionnelles entre les hommes et les femmes sont encore « très importantes »
> 88% d’entre elles estiment qu’il est plus facile pour un homme de faire carrière
> 82% d’entre elles constatent que « les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes dans le monde du travail »
Les manifestations du sexisme sont multiples :
> 80% des répondantes ont déjà entendu des blagues sexistes sur leur lieu de travail
> Les deux tiers d’entre elles ont déjà été confrontées à des incivilités ou des pratiques d’exclusion en raison de leur sexe, lors de réunions notamment (parole coupée, absence d’écoute, rôle cantonné à la prise de notes…)
> Les deux tiers encore décrivent un environnement professionnel où la maternité est appréhendée comme un problème pour l’entreprise, un handicap pour la carrière.
> La moitié des femmes enfin déclarent avoir déjà été empêchées, limitées dans leur parcours professionnel en raison de leur sexe (absence de promotion ou de prime, non choisie pour une mission).
Les stéréotypes de genre appliqués aux femmes managers sont encore très largement véhiculés :
> 72% des femmes font état de remarques visant à disqualifier les femmes en situation de management
> Près de la moitié d’entre elles rapporte l’existence de propos remettant ouvertement en cause la capacité des femmes à manager, parce que femmes, selon une vision essentialiste qui lie compétences et sexe, au lieu de rapporter les compétences à l’individu. Il n’existe pas de compétences par nature.
Dans cet environnement, les représentations stéréotypées de la masculinité participent du sexisme ambiant. Il y a un coût pour tout homme qui souhaiterait déroger à la norme imposée par ces représentations.
> 4 hommes sur 10 ont déjà entendu des propos dévalorisants liés au genre masculin (« Il est trop gentil ; pour faire ce métier, il faut « en avoir. » « Il n’assure pas ; c’est une femmelette. »). Une situation qui ne s’apparente pas à du sexisme inversé comme on l’entend parfois, car il n’y a pas de symétrie en la matière. Ce qui est “reproché” aux hommes dans ce cas de figure, c’est d’adopter des comportements que les stéréotypes de genre attribuent aux femmes. Donc ce qui est infamant pour un homme c’est de se comporter comme une femme, parce que dans la hiérarchie des qualités attribuées aux deux sexes, celles des femmes sont inférieures.
Quel est l’apport concret d’une enquête quantitative sur un sujet tel que le sexisme ?
Cela donne des leviers pour agir au sein des entreprises dans la mesure où l’enquête objective la situation.
C’est un formidable outil de sensibilisation, car dans la structuration même du questionnaire, au travers des différentes situations abordées, et donc dans la présentation qui va être faite des résultats, il permet de mettre en lumière la mécanique du sexisme, le continuum qui existe entre la bonne grosse blague sur les blondes, la familiarité, les stéréotypes de genre et la discrimination le plus souvent inconsciente qui va s’exercer à l’égard des femmes au sein de l’entreprise. C’est un puissant levier pour agir, car il permet d’objectiver une réalité dont le dévoilement, non seulement ne fait pas nécessairement consensus mais peut parfois se heurter à quelques résistances, voire à une certaine forme de déni.
Il permet de donner à voir avec la force d’un chiffre, d’un %, quelle est la réalité du sexisme ordinaire au sein de l’entreprise et en cela il permet de faire prendre conscience d’une situation et de la nécessité d’agir. Il permet ainsi de dépasser le ressenti de chacun en matérialisant une réalité qui ainsi devient tangible et incontestable.
Existe-t-il des points d’attention lorsqu’une comparaison femme-homme est effectuée dans l’analyse de données d’enquête d’opinion comme ce baromètre ?
Cette enquête donne à voir les réponses des femmes et des hommes en miroir, un dispositif qui met naturellement l’accent sur les éventuelles différences. Et c’est un fait, les écarts de perception femmes-hommes sont nombreux et importants (de 20 à 30 points) en ce qui concerne la réalité du sexisme en entreprise et ses manifestations. Des différences d’appréciation qu’il convient d’analyser au regard du vécu de chacune et chacun. Les hommes ne sont pas les cibles directes du sexisme, ils peuvent en être témoins, voire acteurs parfois, mais cela ne renvoie pas à une expérience intime. On le voit dans les résultats de l’enquête, le fait que ce ne soit pas une expérience partagée par les femmes et les hommes a des conséquences sur l’évaluation de la situation. Ainsi les hommes sont nettement moins nombreux que les femmes à penser que les inégalités professionnelles et le sexisme dit ordinaire existent en entreprise. Ce qui n’est pas sans conséquence sur les actions que les entreprises sont amenées à mettre en œuvre pour lutter contre le sexisme et en corriger les effets. Si les hommes sont moins convaincus de la réalité du sexisme, ils seront alors également moins convaincus de la nécessité d’agir et du bien-fondé des politiques déployées par leur employeur. En mettant en évidence ces écarts de diagnostic, l’enquête démontre que la pédagogie, la sensibilisation, la formation et le rappel des inégalités restent des éléments tout à fait essentiels dans le déploiement des politiques.
Par ailleurs, il ne faudrait pas que ces écarts, souvent très remarqués et commentés lors des présentations des résultats du baromètre, occultent l’enseignement majeur de cette enquête, en focalisant l’attention sur les réponses des hommes – qui soit dit en passant ont l’habitude d’être au centre. Le fait marquant, c’est l’unanimité des femmes quant à la réalité du sexisme en entreprise, quels que soient leur âge, leur statut, leur secteur d’activité. Il y a un bien un vécu commun à toutes ces femmes, qui transcende les clivages, une expérience objective et partagée du sexisme en entreprise qui nourrit un très large consensus sur la réalité du phénomène. Et si le mouvement #metoo n’a n’a pas mis un terme aux comportements et agissements sexistes, il a en exacerbé la conscience et créé de ce fait des attentes d’autant plus grandes à l’égard des entreprises, pour qu’elles agissent face à des situations qui sont de moins en moins perçues par les femmes comme acceptables.